Arrivée des Saints bretons en Armorique

ou, comment la Bretagne devint chrétienne

La Bretagne est terre de saintes et de saints. Là aussi, les sources restent rares, pas toujours fiables, parfois parcellaires car l’hagiographie a souvent privilégié miracles et prodiges.

La Bretagne et l’Armorique sont longtemps loin des grandes routes d’invasion. Mais, les Romains ont envahi la Gaule, conquis l’Armorique, traversé la « Mare gallica » (Manche), occupant le Sud de la Grande-Bretagne, pays de culture, langue et religion celtes, très proches de l’Armorique. Certains Romains devenus chrétiens convertissent les populations locales. Des ordinations ont lieu, des monastères se créent, un épiscopat se met en place, sans pour effacer autant le « monde ancien ».

Aux IVème et Vème siècles, les Anglo-Saxons envahissent le sud de la Bretagne insulaire, tuant et détruisant tout sur leur passage.  Beaucoup de Bretons de Cornouaille et de Cambrie fuient vers l’Armorique; ce sont des familles qui arrivent, parfois des tribus entières, parfois aussi des moines, seuls ou avec leurs disciples.

Ils s’appellent Brieuc, Patern, Budoc, Corentin, Azénor, Gildas, Guénolé, Tugdual, Malo, Méen, Pol, Ronan ou Samson … Avec tant d’autres, ils réalisent la « traversée prodigieuse », élément clef de l’hagiographie celtique. Parfois, le saint marche sur les eaux, parfois il franchit d’un bond le bras de mer, mais la plupart du temps, il arrive en bateau. Souvent fils de pêcheurs, ou élevés sur les côtes, ils naviguent dans des canots de cuir, les Curraghs qu’ils utilisent en Bretagne insulaire pour caboter d’île en île, de monastère en monastère. Léger, manœuvrant, avec un faible tirant d’eau, facile à réparer, le Curragh est le bateau idéal pour ce voyage. Quand, abandonnés par leurs occupants, ces bateaux restent trop longtemps sur le sable mouillé, les peaux se décomposent et ne reste alors que le lest de pierres : là est l’origine de la légende des auges de pierre.

Traverser un bras de mer n’est guère compliqué. Irlande et Cambrie ont toujours entretenu des relations maritimes. L’Irlande n’est distante de la Bretagne insulaire que d’environ 55 milles marins et la Cornouailles britannique n’est séparée de l’Armorique que d’une centaine de milles marins. Les arrivants ne sont pas des conquérants, mais, dans un esprit de paix, veulent partager leur foi, explorer de nouveaux territoires, trouver des lieux de retraite.

Les religieux viennent de couvents corniques, gallois, irlandais, écossais. Laïcs et religieux s’installent dans les îles et sur les côtes, ne pénétrant que rarement dans les forêts encore denses du centre de l’Armorique. Impraticables, peu peuplées, évangélisées tardivement, elles restent le domaine des religions et croyances anciennes, remplies de mystères. 

Il est difficile de faire la distinction entre les saints qui ont vraiment existé comme Patern ou Melaine, et ceux dont l’existence est moins avérée. Dans certains cas (Gildas), il semble que le saint renvoie à plusieurs personnes qui n’ont pas vécu au même endroit, ni à la même période. Nombreux saints n’ont jamais été canonisés et quand le Vatican décide la mise en place du processus de canonisation qui renvoie aux oubliettes bon nombre de saints et de saintes, les saints bretons continuent d’être priés et honorés. 

L’adaptation des nouveaux arrivants est aisée, les habitants d’Armorique attachés aux dieux celtes se convertissent vite au christianisme.  Proches des populations, dévoués, pleins d’empathie, courageux et travailleurs, les religieux mènent des vies austères faites d’ascétisme, de simplicité et d’exemplarité. A leur mort, ils sont rapidement proclamés saints « vox populi ».

Ils organisent l’espace où ils vivent, créent paroisses et trêves. Cela se retrouve dans les toponymes de la Bretagne d’aujourd’hui « plou », « tre » ou « lan » suivis du nom du saint, rappelant le lieu où ils vivaient.

A leur arrivée en Bretagne insulaire, beaucoup ont la nostalgie de leur pays et vont ainsi reconstituer une « Domnonée » continentale sur la plus grande partie des côtes septentrionales de l’Armorique en souvenir de ce royaume étendu sur le Devon,  le Dorset, le Somerset et peut-être la Cornouailles.

Le premier groupe arrivé sur les côtes armoricaines vers 465, aurait eu pour chef Fracan, père de saint Gwenolé, et se serait établi sur les bords du Gouët, vers Ploufragan,  suivi de trois autres groupes menés par Riwal, Conan et Conothée, rejoints par Brieuc, qui fonde un grand monastère, berceau de la ville, puis par d’autres fuyant les Saxons.  Ils occupent, tout le Nord de la péninsule armoricaine, du Couesnon jusqu’à Morlaix et se partagent entre compagnons les parties inoccupées du territoire.

Enfin, ces saints jettent les bases de la « chrétienté celtique ». Parce que les villes y sont rares, les pays celtiques ne peuvent avoir une structure calquée sur Rome, une communauté urbaine, groupée autour de l’évêque.  Se développe donc un christianisme spécifique hérité de l’Irlande de Patrick qui persiste jusqu’à la destruction de Landevennec en 913 par les Vikings. Intégré dans l’Église catholique, il se distingue par la place faite aux femmes, la tonsure spécifique, la très grande austérité et surtout l’importance du monachisme, les abbés étant les chefs de cette église. Ces religieux, nombreux, lettrés, maîtrisant plusieurs cultures, chrétienne et classique, de langue latine ou grecque, bretonne, totalement désintéressés au point de ne pas faire payer leurs services se retrouvent bientôt enseignants dans de nombreuses cours d’Europe comme celle de Charlemagne.

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